Entre les 2 mouvements de grève concernant la situation dans les EHPAD, une infirmière des Cordeliers à Moûtiers interpellait le président de la République et la ministre de la santé par le biais d’une lettre ouverte :
A quelques jours de la nouvelle mobilisation des professionnels de santé dans les EHPAD, les services de soins à domicile et les établissements de santé en charge du grand âge, le 15 mars prochain, cette infirmière adresse une « Lettre ouverte à Emmanuel Macron, président de la République Française et Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé ». Si elle y exprime, comme bien d’autres l’ont fait auparavant, toute son indignation, elle suggère également des pistes d’amélioration en faveur de nos Aînés « pour que leurs dernières années de vie soient dignes de nous, dignes d’eux, dignes de notre République, dignes de notre pays des Droits de l’Homme. »
Je vous livre mon ressenti suite à la mobilisation du 30 janvier 2018 dans les Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes de France. Le taux de mobilisation, 31,8%, est à prendre avec des réserves. Les agents contractuels sont nombreux dans nos établissements. Ceux-ci ne se mobilisent pas ou peu par crainte de perdre leur travail.
Je suis infirmière en EHPAD avec une expérience professionnelle de bientôt 30 ans. J’ai commencé mon parcours professionnel en gériatrie comme aide-soignante. J’ai une forte expertise des besoins de nos aînés dépendants dans leur prise en soin quotidienne en institution. Pour information, j’ai travaillé dans plusieurs structures publiques de statut hospitalier, dans trois régions différentes. Aujourd’hui, le personnel de ce secteur d’activité professionnel est au bord de l’explosion à cause d’une surcharge de travail, de glissement de tâches, de locaux inadaptés à la dépendance de nos anciens. Pour exemple, des salles à manger trop petites ne permettent pas d’accueillir le nombre important de personnes âgées en fauteuil, obligeant à donner les repas dans un couloir ou au mieux isolé en chambre. Comment conserver un lien social basique quand les soignants ne peuvent plus assurer ce moment convivial sans mettre en danger les résidents ? C’est-à -dire que si un résident est victime d’un malaise en salle à manger, il n’est pas possible de l’évacuer sans déplacer d’autres résidents qui prennent leur repas. C’est peut être difficilede vous représenter la scène, mais cette scène est malheureusement le quotidien des soignants et des résidents dans certains EHPAD.
Comment conserver un lien social basique quand les soignants ne peuvent plus assurer ce moment convivial du repas sans mettre en danger les résidents ?
La gériatrie est un secteur en pleine croissance puisque notre espérance de vie ne cesse d’augmenter. Mais nous ne vieillirons pas tous en pleine santé malheureusement. Des personnes âgées dépendantes et très dépendantes sont déjà accueillies en EHPAD et d’autres vont entrer en institution dans les années à venir, il est grand temps de remonter les manches et de mettre les moyens humains et structurels face à cette dépendance.
Je défends l’idée, depuis plusieurs années, que nos politiques doivent se pencher sur le nombre de soignants, je dis bien soignants, aides-soignant(e)s et infirmier(e)s auprès de nos anciens en institution, c’est-à -dire du personnel qualifié compétent dans la prise en soin des différentes pathologies dont souffrent les résidents. Finissons-en avec les glissements de tâches tolérées en secteur gériatrique où des agents de services hospitaliers (ASH) font fonction d’aides-soignants sans qualification ni formation ni rémunération complémentaire associées ! En service de soins à l’hôpital, il n’est jamais autorisé à un ASH d’effectuer les soins auprès des patients, pourquoi cet état de fait est-il toléré en gériatrie ? Pourquoi nos aînés ne doivent-ils pas pouvoir prétendre à ce que leurs soins soient prodigués par du personnel qualifié ? Nos manières de prendre en soin les résidents ont évolués depuis 30 ans, et j’en suis particulièrement fière. Nous essayons d’être au plus près des habitudes de vie des personnes que nous accueillons. Cela nous épuise car nous avons à cÅ“ur de bien faire malgré des effectifs qui n’ont pas augmenté depuis des années, malgré un manque de reconnaissance évident. Les conventions tripartites (remplacées par les CPOM, contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens) n’ont pas été renégociées en temps et en heure dans plusieurs établissements. Ce qui amène aujourd’hui à une situation impensable et inimaginable pour le grand public.
Finissons-en avec les glissements de tâches tolérés en secteur gériatrique où des agents de services hospitaliers (ASH) font fonction d’aides-soignants sans qualification ni formation ni rémunération complémentaire associées !
Des personnels confrontés à une ambivalence insupportable
Les politiques ont laissé nos conditions de travail se dégrader au point que maintenant cela devient urgent de réagir à la souffrance des personnels, mais aussi des résidents et de leurs familles. Il faut arrêter de culpabiliser le personnel lorsqu’il réclame des moyens humains supplémentaires en leur envoyant à la figure que si vous augmentez le nombre de soignants, ce sont les résidents qui devront assumer le coût de cette main d’œuvre en augmentant les tarifs d’hébergement. Cela suffit ! Il est grand temps de revoir à la hausse l’APA (l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie) et la section soins des EHPAD puisque ce sont les pathologies et la dépendance qui sont de plus en plus lourdes. Le secteur gériatrique est en train d’imploser et oui, imploser car les soignants ne peuvent plus tolérer de travailler dans la souffrance physique et psychologique quotidienne. Je m’explique : des soignants pas assez nombreux pour accompagner la perte d’autonomie physique des résidents, nos personnes âgées à mobilité réduite seraient-elles moins lourdes (en terme de prise en charge) que des adultes handicapés puisque le ratio soignant/soigné est plus important dans le secteur du handicap ?
Psychologiquement, les personnels sont confrontés à une ambivalence insupportable. C’est-à -dire l’envie et le désir de faire leur métier comme ils l’ont appris avec des valeurs humaines et humanistes nécessaires à notre secteur d’activité. Les besoins fondamentaux selon Virginia Henderson ne doivent pas vous être inconnus, Madame la ministre. Nous travaillons pour l’humain avec de l’humain, ce qui demande une capacité d’adaptation permanente importante. Nous ne pouvons pas comptabiliser en temps nos actes relationnels. Il n’y a pas de grille horaire pour comptabiliser le temps passé à rassurer, à négocier un soin. L’ambivalence est effective car malgré le sentiment du travail « bâclé », nous devons nous satisfaire d’avoir fait au mieux avec les moyens qui sont les nôtres actuellement. Cela est une vraie torture psychologique, et je pèse mes mots !
Il n’y a pas de grille horaire pour comptabiliser le temps passé à rassurer, à négocier un soin…
« Arrêtez les effets d’annonce… nous voulons des actes ! »
Beaucoup d’entre nous « lâchent l’affaire ». Je n’ai pas envie d’être de ceux-là mais que comptez-vous faire concrètement au lit du résident pour améliorer la situation dès aujourd’hui, pas demain, ni après-demain ? Cela fait trop longtemps que l’on refuse de nous entendre ! Des études ont déjà été menées, de l’argent a déjà été « gaspillé » en terme d’audits et de consultations diverses, et nous en sommes toujours là  : manque de personnels, manque de places, manque de locaux adaptés, des conditions de travail dégradées et dégradantes. Un secteur d’activité, qui est, malgré la demande et les besoins de la population, en perdition, difficulté de recrutement de personnel qualifié. Attention, pourquoi, malgré les besoins, nous avons autant de difficulté à recruter ? Parce que nos conditions de travail sont déplorables avec des cadences et oui, comme pour le travail à la chaîne, insoutenables. Allons nous revenir au temps des hospices où nous enfermions et où nous cachions, au regard de la société, les personnes qui ne pouvaient plus assurer seuls leurs besoins primaires ?
Pour ne pas lâcher, pour ne pas abandonner nos aînés à leur triste sort, à notre futur triste sort, car nous sommes tous des vieux en devenir, nous avons besoin de vous. Arrêtez les effets d’annonce dans les médias, les personnels attendent des actes concrets !  L’augmentation des effectifs soignants doit être effective maintenant. Les aides financières pour la réhabilitation ou la reconstruction des établissements doivent être rapidement mises à disposition des chefs d’établissement pour être en capacité de répondre à la demande urgente de la population. Les personnels doivent aussi être consultés pour les travaux car ils sont bien placés pour connaître les besoins de nos aînés en institution.
Reconnaissez et valorisez, par des actes forts, les professions soignantes qui gravitent autour de nos personnes âgées, le recrutement en gériatrie n’en sera que plus attractif ! Ce sont de belles professions avec de vraies valeurs humaines !
« Soignante et citoyenne, j’ai dit ce que je devais dire ! »
Nos vieux sont très peu nombreux à pouvoir assumer financièrement de rester chez eux, dans leur environnement habituel jusqu’au bout de leur vie. Ils ont besoin des Ehpad pour les accueillir et leur assurer de la vie jusqu’au bout de la leur. Tous ont droit à une vie digne, qu’elle soit à domicile ou en institution. En institution, peut être plus que nulle part ailleurs parce qu’ils n’ont pas choisi mais qu’ils sont trop souvent contraints d’y entrer, nos Aînés, les Vôtres ont besoin de soignants pour vivre dans la dignité, et non survivre dans l’indignité.
J’en ai peut être trop dit pour certains et pas assez pour d’autres, mais voilà c’est fait. Depuis longtemps, je voulais m’exprimer en tant que soignante, en tant que citoyenne. Nous sommes tous concernés par le vieillissement, ce n’est pas une maladie contagieuse mais une évolution de notre espèce. Alors prenons les bonnes décisions pour vivre dans des conditions acceptables jusqu’au bout. Aujourd’hui, j’en appelle, Monsieur le Président et Madame la Ministre, à votre coeur et à votre humanité pour répondre rapidement aux demandes des personnels, des résidents et de leurs familles. Pour que leurs dernières années de vie soient dignes de nous, dignes d’eux, dignes de notre République, dignes de notre pays des Droits de l’Homme.
Christine HEBERT
Infirmière en EHPAD